La convoitise, miroir de nos contradictions

Je ne suis pas riche, mais quand même, ça n’empêche pas de rester lucide :

On se plaît à dire que « les riches ne paient pas assez ». C’est devenu un refrain national, un petit plaisir collectif, une sorte de sport de salon où chacun se donne bonne conscience.
Pourtant, soyons honnêtes : si la fortune tombait du ciel, peu rendraient l’argent trouvé. Et la meilleure preuve, c’est ce grand temple populaire du rêve nommé Loto. Chaque semaine, des millions de citoyens investissent quelques francs dans l’espoir de rejoindre précisément… cette catégorie qu’ils détestent tant. Étrange paradoxe : on critique ce qu’on espère devenir.

En vérité, ce que nous prenons pour de la justice sociale n’est souvent que de la convoitise mal déguisée.
Car enfin, qu’est-ce qu’un riche ? Un individu qui possède plus que nous, voilà tout. Et pourtant, ses journées n’ont pas plus de 24 heures, le soleil chauffe sa terrasse comme la nôtre, il respire le même air (pollué ou pur), affronte les mêmes virus, et finit par mourir tout pareil, parfois plus tôt à force de stress, de pression et d’excès.

Certes, il peut avoir dix villas éparpillées sur la planète, mais il n’en habite qu’une à la fois, sauf don d’ubiquité ! Et manger du caviar à longueur d’année (même sur un yacht qui vous donne le même mal de mer démocratique !), croyez-le, finit par écœurer. Le champagne quotidien devient une boisson plate de solitude, et la soie des draps n’empêche pas l’insomnie, ni d’ailleurs la lassitude des plaisirs trop souvent consommés. La nature, elle, reste parcimonieuse : elle n’accorde qu’un corps, un cœur et un certain nombre d’élans, qu’aucune fortune ne peut multiplier, …sans compter les divorces qui coûtent plus cher que les plaisirs !

Mais au-delà de ces considérations philosophiques, il faut rendre justice aux riches, au sens économique du terme.
Les capitaux qu’ils accumulent ne dorment pas sous un matelas : ils circulent. Ils se transforment en investissements, en emplois, en innovations, en placements… et même en rendements pour ces fameuses caisses de pension et fonds collectifs dont profitent justement les classes moyennes et modestes. En Suisse, beaucoup de citoyens, tout en pestant contre « les grands financiers », espèrent en réalité que ceux-ci feront prospérer leurs placements du 2ème pilier ! …On ne parle pas du 3ème 😉
C’est assez cocasse : on souhaite la réussite des riches pour mieux s’en plaindre ensuite.

Si les riches dépensent, cela fait tourner le commerce.
S’ils investissent, cela crée du travail.
S’ils placent leur argent, cela alimente les marchés où se trouvent… les retraites de tout le monde.
Et lorsqu’ils paient des impôts — car ils en paient, même si cela ne suffit jamais aux yeux des autres —, ces fonds financent routes, hôpitaux, écoles, culture et infrastructures dont tous bénéficient indistinctement.
Autrement dit : la fortune privée circule, nourrit, et irrigue la société entière.

Il serait donc plus sage de remercier discrètement les riches plutôt que de les fustiger bruyamment.
Non pas pour flatter l’argent, mais parce qu’ils représentent un moteur indispensable dans une économie saine.
Les vrais parasites ne sont pas ceux qui créent ou investissent, mais ceux qui ne voient dans la réussite d’autrui qu’un prétexte à jalousie.

Et puis, entre nous, il n’est pas si enviable d’être riche.
Car là où un simple mortel savoure son modeste apéritif en terrasse, sans qu’on lui réclame une subvention, un riche, lui, vit traqué par le fisc, les héritiers, les pseudo-amis et les journalistes.
Le bonheur ne se mesure pas en mètres carrés, et la paix d’esprit ne s’achète pas au prix du kilo d’or.

En somme, le monde a besoin de riches — pas pour qu’ils soient idolâtrés, mais pour que la roue tourne.
Et si nous étions vraiment honnêtes, nous admettrions que ce que nous appelons « justice » n’est souvent qu’un désir contrarié de richesse.
Alors, la prochaine fois qu’un voisin maudira « les nantis », offrez-lui un ticket de Loto. Peut-être, s’il gagne, comprendra-t-il enfin combien il est fatigant, à la longue, de manger du caviar tous les jours.

Pierre Bertherin

pierre

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