La théorie de l’outil universel
Depuis son origine, l’être humain se distingue par sa capacité à concevoir et à perfectionner des outils qui lui facilitent l’existence. Chaque époque a connu des innovations marquantes, depuis la roue jusqu’au smartphone, chacune portant en elle-même la signature d’un inventeur initialement reconnu, avant de devenir progressivement anonyme par la force de l’habitude et de l’usage quotidien. Ainsi, nul ne ressent aujourd’hui le besoin de rappeler le nom d’Alexander Graham Bell chaque fois qu’il utilise son téléphone, tant l’objet est devenu partie intégrante de la vie ordinaire.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) représente la dernière évolution majeure des outils conçus par l’homme. À l’instar des précédentes inventions, elle est appelée à se banaliser au point que son utilisation deviendra bientôt transparente, invisible même dans son omniprésence. À l’heure actuelle, l’IA suscite encore des interrogations, des débats éthiques et des reconnaissances d’origine, mais le temps approche où ses interventions seront si courantes qu’elles ne seront plus spécifiées.
La philosophie contemporaine doit intégrer ce changement radical en repensant la frontière entre l’humain et l’outil. L’IA ne supprime pas l’activité humaine, elle la prolonge, l’amplifie, et la rend plus efficiente. Elle devient un prolongement naturel de notre intelligence, à la manière d’une prothèse cognitive globale, si intégrée à notre quotidien que nous cesserons de l’identifier distinctement.
Cette théorie philosophique de l’outil universel postule donc que toute innovation majeure finit par devenir un prolongement implicite de l’humanité. L’IA, outil ultime, incarnant le savoir, la mémoire et la créativité assistée, sera à terme aussi indissociable de l’humain que l’est aujourd’hui l’écriture, elle-même jadis révolutionnaire.
Ainsi, l’avenir appartient à une humanité enrichie d’une intelligence augmentée, où chaque acte portera la trace implicite de l’intelligence artificielle, sans pour autant ressentir le besoin constant de la citer explicitement. Ce stade ultime représente la pleine intégration de l’outil à l’essence même de notre être.
Pierre Bertherin